A l’école des saints : Monsieur de Kériolet (1602 – 1660), le bandit de Dieu
Publié le 8 Novembre 2024
A l’école des saints
(Jean-Marie Herbot – Beauchesne 1962 – 202 pages)
Le jeune Pierre le Gouvello, fils de l’opulent seigneur de Kériolet, près d’Auray est, dès son enfance, d’un tempérament fougueux qui le mènera à vite dériver en mauvais garçon, chef de bande, paresseux, bagarreur, voleur, jouisseur, séducteur insatiable. « L’allure, le costume dénotait le gentilhomme. Il était vêtu avec luxe et portait l’épée au côté. Il retenait l’attention par ses façons provocantes, la façon hautaine et dédaigneuse dont il toisait les passants. Sa figure énergique, au charme certain, était sévèrement marquée par les vices et les passions. Le front vaste dénotait un esprit indomptable et une intelligence brillante. Le regard sombre, perçant, ne manquait pas de beauté. Les traits étaient accentués, la lèvre fine, railleuse mais sensuelle. »
Insatisfait des plaisirs occidentaux, il veut rejoindre les Turcs et se faire musulman ; l’échec le ramène à Paris où il pénètre les milieux sataniques.
Rejeté, il rentre en Bretagne : « Sans cesse il se bat, ne s’interrompant que pour ses galantes aventures ou pour tourner la religion en dérision, le blasphème à la bouche. Il ne retrouve un peu de douceur et de compassion qu’avec les malheureux ou les criminels. Toujours il est charitable et juste avec les humbles ; mais avec ses pairs, il est impitoyable, partial, intéressé. »
Poursuivant sa vie de débauche, tout en ne négligeant pas de dire un Ave chaque jour, il est saisi, une nuit par un rêve qui l’emplit de crainte : « Dieu lui ouvrit le sein de la terre et le fit descendre tout vivant en enfer par une imagination vive et pressante qui lui dura cinq ou six heures, sans qu’il put s’en divertir par aucun effort, ni chasser les impressions horribles qu’il en conçut et qui lui demeureraient jusqu’à la fin de ses jours. » Après une confession générale, il entre à la Trappe de Brech. La règle est dure ; les passions reviennent brutalement ; il part et reprend sa vie dissolue avec orgueil. Pierre a 34 ans ; suite à un pari, il se rend à Loudun pour séduire une jeune protestante d’une beauté exceptionnelle, lui a-t-on dit. Mais en passant devant l’église Sainte-Croix, des bruits insolites le font rentrer dans le lieu Saint ; un prêtre procède à un exorcisme ; et par la bouche de la possédée, le démon l’interpelle : « Tu n’as point d’ennemis, rugit-il. Eh quoi ! Ce Dieu que tu méprises depuis tant d’années ! Oh ! Méchant. Je croyais bien te tenir et te porter en enfer lorsque tu fis à Notre-Dame de Liesse ce vœu que tu n’as jamais accompli. Ingrat et indigne des bienfaits de cette vierge ! … sur la fenêtre de cette adultère, tu me fus ôté des mains… Oublies-tu le coup de pistolet que tu tiras contre le ciel ? Blasphémateur et athée ! Est-il possible qu’un tel homme reçoive miséricorde ? O injustice divine ! » Ces révélations bouleversèrent violemment Pierre qui revint plusieurs jours de suite pour entendre les accusations du démon. « La Vierge a mis les bras jusqu’au coude pour le retirer de ses ordures » gémit-il encore.
C’est la conversion radicale. Abandonnant ses beaux habits pour une défroque, il entreprend plusieurs pèlerinages à N-D de liesse puis au sanctuaire de Ste Marie Madeleine ; de retour en Bretagne, méprisé par les mondains, il transforme son château en Hospice pour accueillir malades et miséreux. Dès lors son temps se partage entre des pèlerinages au cours desquels il rencontre de saints personnages comme M. Vincent et M. Ollier. Constatant le changement certain et durable de l’homme, l’évêque l’ordonne.
Pierre devenu un grand ascète s’épuise dans ses tâches pastorales et spirituelles et tombe très malade à partir de 1658. Les sécheresses spirituelles et les inquiétudes métaphysiques liées à son passé le torturent : « Il me semble que je n’ai rien fait pour Dieu ou du moins si peu de chose, que cela doit être compté comme rien ». L’agonie dure mais au moment de s‘éteindre il retrouve une paix profonde. Le procès de l’ordinaire sera lancé plus tard mais les documents disparaissent lors de la révolution. Pierre de Kériolet est inhumé dans le sanctuaire de Sainte Anne d’Auray avec cette simple mention : « Ici reposent les précieux restes de Pierre le Gouvello de Kériolet mort en odeur de sainteté le 8 octobre 1660 ». G.G.